(La copie totale ou partielle de notre site internet et donc de cet article et de ses éléments graphiques est strictement interdite.)
« La mode a besoin d’un tyran » proclame Paul Poiret, ce en quoi il a compris ce qui manque à la mode au tournant du siècle -même si ce sont des raisons égoïstes qui le motivent, car, bien sûr, c’est lui et personne d’autre, qu’il voit dans le rôle du despote libérateur.
La mode est tellement indécise, si pleine de fanfreluches sans intérêt qu’il faut que quelqu’un indique la direction à prendre, et ce quelqu’un doit avoir des idées novatrices.
Il doit aimer la vie, les arts et les femmes, avoir une soif insatiable de beauté et d’épanouissement personnel; bref, il faut que ce soit Poiret.
Anecdotes de son enfance :
Paul Poiret naît le 8 avril 1879, dans un monde de plaisirs physiques. Ses parents sont marchands d’étoffes dans le quartier des Halles, encore considérée comme le ventre de Paris grâce à ses marchés couverts -aujourd’hui, il demeure le centre de l’industrie textile française.
Très tôt, Poiret se sait prédestiné à un destin particulier. Quand on fait montre de trop d’imagination et de trop peu de discipline pour aller travailler tous les jours, on est forcément né artiste.
Cette conviction pousse la mère et les trois soeurs à soutenir de leur affection ce rêveur rondouillard et toujours gai.
Seul le père persiste au charme de son fils et l’oblige à poursuivre ses études jusqu’au baccalauréat.
Ensuite, pour qu’il apprenne la dure réalité de la vie, il le fait engager comme garçon de courses chez un fabricant de parapluies de sa connaissance.
« Peut-être, relate Poiret en revenant sur cette période humiliante, ai-je alors oublié parfois de me laver le cou, mais je changeais tous les jours mon col blanc.
» Car il est persuadé , au plus profond de son être, qu’il n’y a rien de plus important que l’apparence extérieure.
C’est ainsi qu’il emprunte à son protecteur la seule chose qui puisse le mener quelque part : des chutes de soie.
Le soir, chez lui, il se sert des restes insignifiants de la production de parapluies pour coudre d’extravagantes créations qu’il drape sur une poupée en bois haute de 40 centimètres, cadeau de ses sœurs qui lui vouent une admiration passionnée -une attitude qu’il exigera des femmes pendant toute sa vie.
Débuts dans la mode :
Il est d’autant plus étonnant que, même de nos jours, l’on célèbre en Poiret un libérateur de la femme.
Car il n’a qu’une seule idée en tête : sa réputation, et il mesure toute chose à l’aune de son propre goût.
C’est ce même goût et ses talents de dessinateur qui lui valent d’obtenir une place d’assistant chez jacques Doucet, couturier à succès mais aussi grand amateur d’art et collectionneur.
A ses côtés, Paul Poiret, doté de multiples talents, apprend non seulement à maîtriser l’art de la couture et à respecter tout un art de vivre, mais aussi à se faire le courtisan des vedettes du théâtre, véritables « supports publicitaires ».
Après avoir effectué son service militaire, Poiret trouve en 1901 un emploi dans la maison de couture qui faisait autorité à l’époque : Worth . Mais les deux fils Worth, Jean-Philippe et Gaston, qui ont pris la succession de leur père, le fondateur de la haute couture, ne sont pas capables d’apprécier Poiret à sa juste valeur -et c’est pour cette raison qu’ils ne lui permettent pas de faire ses preuves.
Qu’elle chance qu’il existe sur terre des femmes capables de lui vouer une confiance inconditionnelle!
Maman Poiret se séparer de 50 000 francs, afin que son petit Paul puisse ouvrir son premier salon de mode à son compte, en 1903.
L’arrivée du succès, les créations et la concurrence :
Réjane, une comédienne alors adulée fait des infidélités à Doucet, l’ancien mentor de Poiret -l’apprenti à surpassé le maître en matière de flatteries-, en devenant la première cliente de Poiret.
Sa présence fait l’effet d’un véritable aimant : partout ou elle se rend, accompagnée de ses deux ânes blancs, cadeau du Roi du Portugal, administrateur et émules féminines s’attroupent.
A peine trois années plus tard, Poiret est devenu lui-même une star, on le reconnait dans la rue et dans les restaurants, et le Tout-Paris se presse à ses fêtes.
Poiret a le don de s’entourer des illustrateurs, des peintres et des stylistes les plus doués : Paul Iribe, Georges Lepape, Erté, Mariano Fortuny, Vlaminck, André Derain, Raoul Dufy.
Il fait la fête et travaille avec eux, et il se sent leur égal : « Suis-je fou lorsque je prétends que je suis un Artiste? » s’interroge-t-il en 1930 dans ses Mémoires qu’il appelle, avec ce sentiment de sa propre valeur qui lui est particulier, »En habillant l’époque » .
Pourtant, voilà longtemps que sa réputation s’est ternie; d’autres étoiles fixes
brillent au firmament de la mode, et Coco Chanel brille plus que tout autre, elle qui ressent dans sa chair ce qui va de travers dans la mode féminine.
Certes, Poiret se targue, à juste titre, d’avoir « déclaré la guerre au corset », mais son acte révolutionnaire a des motivations purement esthétiques.
En effet, il trouve tout bonnement risible la séparation du corps féminin en deux parties : un buste palpitant à l’avant et un postérieur large et proéminent à l’arrière.
Inspiré par l’art nouveau, qui voit le jour à cette époque, et par le style Directoire du XVIIIe siècle, peut-être même influencé par des artistes et des combattantes pour les droits de la femme à la recherche, en Angleterre, de la « robe de la réforme » , Poiret crée en 1906 une robe simple et étroite, dont la jupe commence juste au-dessous de la poitrine et tombe en ligne droite jusqu’au sol – il vient de créer la ligne qui va l’immortaliser.
Il baptise cette robe « la vague » parce qu’elle suit les mouvements du corps comme une douce vague.
En comparaison avec les beautés corsetées et apprêtées de la belle Époque, la nouvelle femme de poiret semble simple, jeune et scandaleusement libre; ses robes légères cachent un corps bien fait plutôt qu’un bon corset.
L’importance de sa femme :
Denise Poiret et son chien dans la chambre à coucher conjugale. Comme de coutume elle porte une tenue de Poiret.
Qui sait, peut-être Poiret ne se serait-il jamais risqué à dessiner cette création sensationnelle si sa femme n’avait été aussi mince et gracieuse, Depuis 1905, il est l’époux de Denise Boulet, qu’il connait depuis l’enfance; elle lui donne cinq enfants, et il fait d’elle la femme la plus élégante de Paris.
« Elle était très simple, écrit-il à son sujet dans ses Mémoires, mais… je savais voir sa beauté cachée.
» Pas une femme ne sait mettre en valeur ses petites robes à bretelles comme Denise, « mince, brune, jeune, sans corset et vierge de maquillage ou de poudre », telle que Poiret la décrit en 1913 dans Vogue.
Subitement, toutes les Parisiennes veulent ressembler à Denise, la provinciale.
Poiret, dont le nom devient une marque (sans le prénom Paul, un peu trop sage), promet pompeusement que chaque dame « qui se sentait jadis opprimée dans le carcan de ses vêtements démodés […] poussera aujourd’hui, libérée, des cris de joie […] lorsqu’elle pourra à la fois voiler et révéler sa beauté dans les tenues inédites et attrayantes que lui offre Poiret ».
Ce n’est pas seulement l’absence de corset -que Poiret remplace par des soutiens-gorge souples et légers portes jarretelles– qui fait paraître les femmes plus jeunes et plus audacieuses, ce sont également ces couleurs soutenues et ces imprimés clairs qu’il emploie à la place des teintes pastel délavées et des ternes guirlandes de fleurs. M
ais il ne s’arrête pas en si bon chemin et bannit les bas noirs, offrant ainsi aux femmes (et aux hommes) l’illusion de jambes nues, en les enveloppant de soie couleur chair.
La folie des grandeurs :
Pourtant, ces débuts si génialement simples dégénèrent rapidement.
Poiret place la taille, et donc la poitrine, de plus en plus haut; il échancre les décolletés et rétrécit les jupes.
En 1910, il invente la célèbre jupe entravée, qui se rétrécit tellement jusqu’à l’ourlet qu’elle contraint celle qui la porte à trottiner, comme une geisha. Poiret trouve cela amusant :
« J’ai libéré le haut de leur corps, mais j’entrave leurs jambes. »
Mais cette fois-ci il a commis une erreur : les femmes ne le suivent pas et sa jupe entravée ne s’impose pas.
Mais cela ne préoccupe guère le dictateur de la mode. Voilà bien longtemps déjà qu’il se voit sous les traits d’un sultan, revêtant les femmes de son harem des tenues orientales les plus somptueuses. Il impose à ses esclaves le port du cafetan et du kimono, du pantalon bouffant et de la tunique, des voiles et du turban, et elles le suivent avec enthousiasme.
C’est enfin le retour du luxe par excellence: broderies chamarrées, dentelles tissées d’or et d’argent, somptueux brocarts, galons à franges, perles et plumes rares -seul mot d’ordre : l’exotisme.
Car l’Orient tient tout le monde sous le charme depuis la première tournée -triomphale- des Ballets russes à Paris, en 1909.
Les impressionnantes mises en scène baroques de Schéhérazade et du dieu bleu par Diaghilev influencent les arts et les modes, et jusqu’au style de vie de la décennie tout entière.
Poiret se flatte d’avoir découvert la magie de l’Orient depuis longtemps déjà -en 1897, lors d’une exposition de tapis organisée par le grand magasin Le bon marché-, mais il ne pousse la folie orientale à l’extrême qu’après que les Ballets russes ont préparé le terrain.
En 1911, il organise le « 1 002e nuit », l’une des fêtes costumées les plus légendaires du siècle. Les frontières entre vêtement et costument semblent s’estomper;
Poiret -exubérant et follement dépensier- tente de mettre en scène la vie comme s’il s’agissait d’une grande fête. accompagné d’une troupe de mannequins, il parcourt le monde :
Londres, Berlin, Vienne, Bruxelles, Moscou, Saint Petersbourg et enfin New-York. Il puise son inspiration partout. Sur l’exemple des Wiener Werkstätte (ateliers de Vienne), il fonde un atelier d’arts appliqués ou seront créés des meubles, des étoffes et des objets décoratifs.
Il est le dernier couturier à lancer -dix ans avant Chanel !- ses propres parfums, et il renoue en 1911 avec un scandale synonyme de publicité en lançant la jupe-culotte. Le pape Pie X lui-même se donne la peine de réprouver cet homme immoral qui vit à Paris et qui s’appelle Poiret.
La même année Poiret crée un atelier dans lequel les créations du peintre Raoul Dufy sont imprimées directement sur les soies les plus délicates, une véritable révolution dans l’industrie textile, qui devait se contenter jusqu’alors d’imprimer de simples motifs sur des tissus très bon marchés.
Mais Poiret constate au cours de ses voyages qu’on le copie partout, et il suggère la création d’un syndicat de défense de la grande couture française, afin d’assurer la protection des modèles originaux.
Poiret est le premier styliste véritable de ce siècle qui marque de son empreinte tout ce dont il s’entoure -et qui peut tout vendre, de l’accessoire jusqu’à l’aménagement intérieur. Il faudra attendre 85 ans pour que des stylistes s’emparent de ce concept : Ralph Lauren, Donna Karan, Calvin Klein, Gucci… présenteront dans les années 1990 leurs collections d’intérieur, jusqu’à des bougies parfumées- que Poiret employait pour les bals orientaux bien avant eux…
Tout à une fin :
Pourtant, Poiret n’est pas un visionnaire, il vit avec son temps. la première guerre mondiale n’a pas encore éclaté, et la vie semble suivre un cours normal. Poiret est incorporé dans l’armée, et lorsqu’il revient du front 4 ans plus tard il trouve tout changé. Surtout les femmes : il se plaint qu’elles soient « comme des abeilles sur leur ruche » et ignore Coco Chanel, sa nouvelle concurrente, « l’inventrice de la misère luxueuse ».
Cette déclaration est un véritable aveu d’impuissance. Poiret, en qui l’on célèbre un libérateur de la femme, ne comprend pas que la guerre a fait davantage pour l’indépendance des femmes que la mode. il continue à croire que les femmes n’attendent qu’une chose : que le maitre les contraigne à adopter ses créations surprenantes – » d’abord, elles maugréent, ensuite, elles obéissent, et pour finir, elles applaudissent ». Or, à présent, les femmes se contentent de rire et n’en font qu’à leur tête.
Poiret pense réussir à reconquérir son ancienne clientèle en organisant quelques fêtes somptueuses. Plus il voit fondre ses espérances, plus ses invitations se font généreuses : champagne, huitres (collier de perle compris), apparitions d’artistes tels Isadora Duncan, Pierre brasseur ou Yvette Guilbert. Au bout de 6 mois seulement, il a accumulé une demi million de dettes!
Il trouve des financiers, qui tirent profit de son génie mais veulent aussi le soumettre aux lois du marché. Poiret se sent humilié et attend la meilleure occasion pour reconquérir son trône de roi des couturiers sur un coup d’éclat.
L’exposition art-déco, en 1925, lui semble être le moment propice.
Poiret expose ses créations sur la Seine, à bord de 3 péniches : la première sert de restaurant de luxe, la seconde renferme un salon de couture et la troisième abrite une boutique de parfums, d’accessoires et de meubles.
L’agencement, comme toujours avec Poiret, est grandiose… tout comme les coûts, que les financiers refusent de prendre en charge. Poiret fait faillite, mais il continue à mener grand train.
Il éprouve de l’amertume à voir d’autres couturiers trouver le succès avec ses propres idées : la mode punit toujours les précurseurs…
Lorsque Denise, son épouse, le quitte, Poiret, maussade, se retire en Provence, ou il devient peintre. Il meurt en 1944, pauvre et oublié. mais son œuvre va contribuer à la survie de la mode…
(Source : la mode au siècle des créateurs par C. Seeling)
4 711 vues
(La copie totale ou partielle de notre site internet et donc de cet article et de ses éléments graphiques est strictement interdite.)